L’excès de réglementation déstabilise le financement de la Transition
Depuis les Accords de Paris de 2015, toutes les parties prenantes se sont mises au diapason de la « Grande Transition ». Les Etats, notamment l’Union européenne, ont fixé des objectifs de décarbonation très ambitieux. Les entreprises ont présenté leurs plans de transition. Les investisseurs se sont regroupés dans des coalitions « Net Zero ». Les régulateurs et les labels, soucieux de flécher l’épargne vers les investissements durables, ont érigé des contraintes importantes sur les institutions financières.
Mais après ces annonces, place à l’exécution, à la mise en situation réelle de cette Grande Transition. Le rythme de progression est lent et la transformation de nos modes de vie et de consommation est bien plus compliquée que ce que les modèles suggéraient. Malgré la forte accélération des installations de parcs solaires et éoliens, on constate, par exemple, que la consommation de pétrole atteint un nouveau point haut cette année et les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne baissent toujours pas. Les exemples qui montrent les difficultés opérationnelles de la Transition se multiplient.
Du côté des Etats, la Suède a indiqué qu’elle allait manquer ses objectifs à 2045,contrainte de baisser les impôts sur l’essence pour aider le consommateur suédois. L’Angleterre a décidé de repousser la fin des véhicules thermiques à2035 au lieu de 2030 et a annoncé l’ouverture d’une mine de charbon. L’Allemagne a repoussé une législation interdisant les chaudières à gaz et, plus tôt dans l’année, a obtenu que des véhicules thermiques décarbonés puissent encore être commercialisés après 2030.
Du côté des entreprises, là aussi, certains objectifs ambitieux se heurtent à la réalité. Lego, le leader mondial des jeux, vient d’annoncer qu’il abandonne son plan de remplacement du plastique à base d’énergie fossile par du plastique recyclé. Il juge que son objectif initial est trop compliqué et l’obligerait à repenser tout son outil industriel, ce qui émettrait plus de CO2 qu’actuellement. L’entreprise travaille désormais sur la réutilisation de ses milliards de briques en circulation. Mais le modèle économique est encore à inventer.
Dans la sphère financière, de plus en plus d’institutions se retirent des coalitions qu’elles avaient contribué à créer, inquiètes des risques de greenwashing, des conflits d’intérêt potentiels et des pressions politiques grandissantes.
La pratique confronte les Etats, comme les entreprises, à des difficultés qu’ils n’avaient pas envisagées. Les problématiques sociales et technologiques ont été sous-évaluées. Mais ce n’est pas parce qu’une entreprise comme Lego revoit ses ambitions et sa méthode, qu’elle n’est pas pour autant en transition. Ce n’est pas parce que la Suède repousse ses objectifs carbone neutre qu’elle ne fait pas le maximum pour y arriver. De même ce n’est parce qu’un investisseur sort d’une coalition « Net Zero » qu’il décide de n’investir que dans des énergies fossiles.
La réalité est moins manichéenne et le financement de la Transition doit être flexible s’il veut être efficace. Il doit s’adapter aux contraintes du terrain et privilégier la trajectoire à moyen terme des entreprises plutôt que leurs progrès sur un trimestre voire une année.
Pour faire cela intelligemment, l’investisseur a besoin d’un cadre réglementaire flexible et évolutif qui prenne en compte ces difficultés opérationnelles. Mais le législateur européen fait tout l’inverse. Il contraint l’investisseur à classer ses fonds dans des catégories arbitraires et à s’engager sur des ratios réglementaires théoriques qui n’ont pas de lien avec la réalité économique. Pire, ces règles vont encore se durcir. La définition d’un actif durable est jugée trop vague, les exigences chiffrées trop faibles. L’Europe se rassure dans son rôle de bon élève quand le Royaume-Uni et les Etats-Unis font preuve de pragmatisme. Au sein d’un cadre général, ils laissent de l’oxygène à leurs acteurs économiques, alors que l’Europe les asphyxie avec ses contours trop étroits.
Actuellement, la législation européenne encourage l’investissement dans les sociétés qui émettent peu de gaz à effet de serre au détriment des entreprises en transition. C’est pourtant la décarbonation réussie de ces dernières qui permettra de lutter contre le réchauffement climatique. Avec son excès de réglementation, l’Europe fragilise sa transition, ses entreprises et ses institutions financières.