Lettre ESG - Bon pour la planète, bon pour l'actionnaire
Bon pour la planète, bon pour l’actionnaire
Dans cette note, nous faisons la synthèse de nos entretiens récents avec plusieurs des sociétés en portefeuille. Cet échantillon représente environ 50% de l’empreinte carbone (Scope 1&2) des portefeuilles de BDL Convictions, fonds PEA, et BDL Rempart. Nous avons cherché à comprendre le niveau d’ambition, de transparence et de crédibilité des stratégies climat de ces entreprises et en avons tiré plusieurs enseignements que nous partageons avec vous.
Rencontres avec les entreprises de BDL Convictions et BDL Rempart
Chez BDL, nous avons une approche ESG qui se veut concrète, factuelle et utile, « ESG utile ».Nous utilisons les méthodes que nous avons développées sur l’analyse financière : la compréhension des modèles économiques et la proximité avec les entreprises que nous avons en portefeuille. Au-delà de la qualité de leur management et de leur gouvernance, nous nous intéressons particulièrement à leur stratégie climat et plus spécifiquement à la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Nous estimons que, pour les sociétés qui ne font pas l’effort de se décarboner, le risque climatique peut altérer significativement leur valeur à long terme. Des risques de perte de parts de marché, de durcissement de la réglementation, de dépréciations d’actifs tangibles ou intangibles, d’augmentation du coût du capital ou encore de pour suites juridiques peuvent se matérialiser et diminuer durablement leur rentabilité. En tant qu’actionnaires responsables, nous attendons une stratégie climat transparente et ambitieuse de la part de nos entreprises. Plus précisément, nous souhaitons qu’elles reportent au CDP, qu’elles présentent un plan de transition crédible et qu’elles publient des objectifs sur les Scopes 1, 2, et 3 qui soient validés par le SBTi. Dans cette note, nous faisons la synthèse de nos entretiens récents avec plusieurs des sociétés en portefeuille. Cet échantillon représente environ 50% de l’empreinte carbone (Scope 1&2) des portefeuilles de BDL Convictions et BDL Rempart. Nous avons cherché à comprendre le niveau d’ambition, de transparence et de crédibilité des stratégies climat de ces entreprises et en avons tiré plusieurs enseignements que nous partageons avec vous. Etant donné l’importance du sujet, nous répèterons cet exercice a minima une fois par an.
QUELQUES INDICATEURS CLÉS :
Les entreprises que nous avons rencontrées représentent un total de 60 millions de tCO2(Scope 1&2) et 1,4 milliards de tCO2 Scope 3. Ainsi le Scope 3 représente 99% des émissions. Il est fortement tiré à la hausse par Total Energies, Siemens et Airbus. Cependant, même en enlevant ces trois noms, le Scope 3 constitue encore 84% des émissions déclarées. Nous avons donc étudié les 3 scopes en détail. Tout d’abord, nous avons comparé les sociétés sur quelques initiatives clés. La première est leur reporting au questionnaire CDP « climate change » et le score obtenu. Concernant la transparence sur la publication des émissions de GES et la stratégie climat, le CDP est de loin la référence au niveau mondial, selon nous. Nous constatons que toutes nos entreprises ont répondu au questionnaire et plus de 75% d’entre elles ont obtenu A, le meilleur score possible.
Nous avons ensuite regardé le niveau d’ambition de leurs objectifs de réduction de GES en utilisant les données de la Science Based Target Initiative (SBTi), là encore la référence mondiale en la matière. Pour rappel, SBTi analyse les objectifs de réduction de GES à horizon2030 et 2050 et les valide comme suivant une trajectoire compatible avec un réchauffement à2°C ou 1,5°C. 70% de nos entreprises ont des objectifs validés SBTi, 10% sont engagées et attendent la validation, et 20% sont dans des secteurs où SBTi n’a pas encore publié de méthode pour évaluer les objectifs (pétrole et chimie). De plus, quand elles ont leurs objectifs validés, la plupart ont choisi la trajectoire la plus ambitieuse de 1,5°C. Entre les scores au CDP et les objectifs validés SBTi, les résultats ont bien supérieurs à la moyenne des sociétés européennes, cela est rassurant quant à la crédibilité et le niveau d’ambition de la stratégie climat de nos entreprises. Même si les chiffres varient d’une entreprise à l’autre, les objectifs de réduction, d’ici 2030,sont de l’ordre de 40 à 60% sur les Scope 1&2 et de 15-20% sur le Scope 3. Nous notons aussi que toutes nos entreprises ont un objectif de réduction Scope 3 et pour la très grande majorité d’entre elles, les objectifs Scope 1&2&3 sont en absolu et non en intensité. Même si aucune méthode n’est parfaite, chez BDL nous privilégions des objectifs en absolu car c’est ce dont la planète a besoin in fine.
ANALYSE DES SCOPES 1 & 2
Une fois les grands agrégats bien étudiés, nous avons utilisé nos entretiens pour mieux comprendre les leviers et les défis rencontrés dans la bonne exécution de ces stratégies.
Une maîtrise des variables du Scope 1
Sur les Scope 1&2, même si les objectifs de réduction sont ambitieux, nos entreprises ont semblé très confiantes car elles maîtrisent les paramètres. Les leviers du Scope 1 sont connus :
→Baisse de la consommation énergétique de l’outil industriel
→Electrification des processus
→Remplacement du charbon par le gaz et décarbonation du gaz par le biogaz et l’hydrogène pour les processus qui ne peuvent pas être électrifiés
Ainsi, Total Energies, qui a un Scope 1 de 34mn de tCO2, a annoncé un plan de capex de $1milliards pour améliorer l’efficacité énergétique de ces procédés industriels. Verallia a décidé de remplacer un four au gaz par 2 fours électriques. Ce projet est une première dans l’industrie et vise à réduire de moitié les émissions de CO2. Saint-Gobain a fait tourner pendant une semaine une usine de verre plat 100% recyclé avec du biogaz et de l’énergie renouvelable, montrant que le verre plat zéro carbone en Scope 1&2 est faisable. Vinci comme Eiffage travaillent sur la décarbonation de leur flotte de véhicules et d’engins en migrant progressivement vers de l’électrique.
Scope 2 : une accélération de la demande pour de l’énergie renouvelable
Sur le Scope 2, la décarbonation de l’électricité utilisée par nos entreprises est en marche. Toutes ont des objectifs élevés de consommation d’électricité décarbonée sur les prochaines années (ex. Airbus vise 100% d’ici 2024, JDE Peet’s passe de 17% en 2021 à 40% au H2 2022).Pour parvenir à leurs objectifs, certaines entreprises mettent en place des projets solaires ou éoliens pour alimenter leurs propres besoins en électricité (ex. Total Energies), d’autres signent des PPA (Purchase Power Agreement) ou achètent des Garanties d’Origine (ex. Covestro, Airbus, Vivendi). Les PPA sont des contrats d’achat d’électricité issue d’énergies renouvelables qui s’exercent sur le moyen ou le long terme (de 5 à 20 ans). Les clients qui les contractent accèdent à une énergie verte, fiable et certifiée, à un prix défini et stable. La plupart des entreprises mentionnent cependant qu’il est compliqué de signer des PPA en Europe car il y a un manque de capacité et les projets mettent du temps à émerger. Le risque est donc d’abuser des Garanties d’Origine pour « verdir » rapidement la consommation d’électricité sans pour autant que cela soit additif aux capacités existantes d’énergies renouvelables. Nous resterons donc attentifs sur le sujet. En tant qu’actionnaires, nous avons une préférence marquée pour les PPA car ils déclenchent un vrai développement de nouvelles capacités d’énergies renouvelables et couvrent les entreprises contre les variations du prix de l’électricité. Les Garanties d’Origine ne sont qu’un certificat qui atteste que de l’énergie renouvelable a été produite quelque part. Il n’y a souvent pas de traçabilité ni d’additionnalité (création de nouvelles capacités).
SCOPE 3 : ENCORE BEAUCOUP D’HÉTÉROGÉNÉITÉ
Concernant le Scope 3, les états d’avancement et les pratiques déployées sont moins homogènes. De même, les défis peuvent être très différents. Pour certaines entreprises, l’essentiel du Scope 3 est en amont et porte sur la chaîne d’approvisionnement, principalement les matières premières (ex JDE Peet’s avec le café). Pour d’autres c’est le Scope 3 aval qui est clé (ex. Vinci et Eiffage avec les autoroutes, Airbus et Siemens avec l’utilisation des avions et des trains, Total Energies avec la combustion du pétrole).
Scope 3 amont : Fiabiliser la comptabilité fournisseurs
Sur le Scope 3 Amont, nos entreprises recensent leurs fournisseurs et mettent en place des outils digitaux pour relier les factures fournisseurs aux émissions carbone des produits achetés. L’objectif est d’avoir un suivi précis et presque en temps réel des émissions de CO2 liées aux achats de produits et matières premières. C’est un travail gigantesque, il y a souvent plusieurs dizaines de milliers de fournisseurs. Saint-Gobain semble proche d’y parvenir, mais pour la plupart, ce projet est encore à ses débuts. Certaines d’entre elles commencent à « engager »leurs plus gros fournisseurs en leur expliquant comment ils peuvent les aider à réduire leurs émissions. Parfois des indicateurs tels que score CDP ou objectif SBTi commencent à être demandés aux fournisseurs (ex JDE Peet’s). Pour l’instant, cependant, nous n’avons pas vu d’entreprises prêtes à terminer une relation avec un gros fournisseur si ces indicateurs n’étaient pas conformes aux attentes. Ce n’est pas surprenant, être trop strict et voir le fournisseur privilégier un concurrent est une décision qui mérite réflexion.
Travailler sur le Scope 3 amont implique aussi de donner la priorité à des matériaux moins carbonés et au recyclage (ex. Covestro). Mais ces matériaux moins carbonés ont souvent un coût plus élevé. Eiffage donne l’exemple du béton bas carbone qui est plus cher et peut poser des problèmes de compétitivité lors d’appels d’offre où les clients donnent la priorité au prix. Covestro explique remplacer des matières premières à base d’énergie fossile par des matières premières « bio » mais cela prend du temps et peut parfois coûter 50% de plus. Ainsi, le mangement demande à la force commerciale d’identifier les clients les plus sensibles à la problématique carbone. Covestro estime qu’en Europe, 2/3 de ses clients ont une stratégie et des objectifs Scope 3, alors que cela démarre à peine aux Etats-Unis et en Asie. Enfin, diminuer la quantité de matières premières nécessaires est un autre levier d’action sur le Scope 3 amont. Vinci l’actionne avec l’ecodesign tout comme Verallia qui , en utilisant plus de calcin, réduit la quantité de matières vierges utilisées.
Scope 3 aval : influencer la demande
Sur le Scope 3 aval, parmi les sociétés rencontrées, la catégorie la plus importante est l’utilisation des produits vendus. C’est le cas des concessions autoroutières ou aéroportuaires, des avions d’Airbus ou du pétrole de Total Energies. Même si les entreprises ont un pouvoir d’action limité sur leur Scope 3 aval, il est raisonnable de penser qu’elles parviendront à le réduire. Les nouveaux avions d’Airbus sont 20-25% plus efficace en consommation énergétique, de plus la proportion de « fuel durable » (SAF) augmente progressivement. Total Energies profitera de ses investissements dans le gaz au détriment de ceux dans le pétrole. Vinci et Eiffage profiteront de l’électrification progressive du parc de véhicules légers. Enfin, dans certains cas, il est possible d’inciter directement les clients à modifier leurs habitudes. C’est le cas de Vinci qui, dans son activité aéroportuaire, expérimente un système de tarification des compagnies aériennes en fonction de leur consommation énergétique. Le système est basé sur les émissions de CO2 de chaque appareil sur son cycle LTO (landing and take-off) en fonction de sa motorisation. Selon le niveau d’émissions de CO2, un bonus ou un malus s’applique sur les redevances d’atterrissage.
Un autre élément intéressant du Scope 3 aval est l’étude du changement de comportement des clients au fur et à mesure que ces derniers mettent en place des objectifs de réduction de leur Scope 3 amont. Sur ce point, comme la plupart des sociétés scorent bien au CDP et ont des objectifs SBTi, nous ne sommes pas très inquiets. Cependant, il faut suivre leur capacité d’innovation pour offrir des produits qui réduisent le Scope 3 amont de leurs clients. Cela doit aussi s’accompagner d’une éducation des équipes commerciales car ces sujets deviennent des enjeux de part de marché. Ainsi, Saint-Gobain, comme Eiffage, sont bientôt capables de montrer l’impact carbone de leurs produits sur chaque devis. Saint-Gobain estime même que d’ici quelques années, une entreprise qui ne peut pas montrer cette information ne sera plus sélectionnée dans les appels d’offre.
3 POINTS D’AMÉLIORATION
Reporting interne
Dans l’ensemble, toutes ces réunions nous ont conforté dans la capacité de nos investissements à dérouler leur feuille de route pour décarboner leurs activités. Nous voyons trois points d’amélioration qui concernent la plupart d’entre elles. Le premier porte sur le« reporting carbone » interne. Beaucoup d’entreprises ont encore une comptabilité annuelle, certaines ont un reporting trimestriel et très peu ont un reporting mensuel. Pour bien piloter la stratégie de réduction de GES, il nous semble qu’un reporting trimestriel est nécessaire et nous voyons positivement les entreprises qui investissent dans leurs systèmes d’information pour y parvenir.
Reporting externe
Le deuxième point d’amélioration concerne le « reporting carbone » externe, à destination des investisseurs. Les dernières années ont porté sur la mise en place d’objectifs de réduction de GES. Les prochaines se focaliseront sur l’exécution de la stratégie pour y parvenir. Actuellement, le détail des sources d’émissions, l’historique de réduction des GES, les leviers d’amélioration par Scope et par métier sont encore rares. Les « bridge d’émissions » comme il existe des« bridge d’EBITDA » sont presque inexistants. Au fur et à mesure que les données s’améliorent, nous espérons que les entreprises pourront mettre en place ce genre de pratiques, dans le but d’augmenter la transparence de leurs stratégies.
Gouvernance
Le troisième point d’amélioration relève de la gouvernance et porte sur la politique de rémunération du Directeur Général ainsi que des équipes de management. Nos réunions ont montré que les objectifs macro de réduction de GES, ceux qui ont été validés par le SBTi et incarnent la stratégie climat des entreprises, sont rarement déclinés à l’identique dans la rémunération variable court terme et long terme. Il arrive qu’un KPI carbone soit présent, mais il est différent des objectifs officiels. Nous comprenons que, dans beaucoup de cas, cela est dû au fait que depuis l’annonce des objectifs officiels de réduction des GES, il n’y a pas eu de« remise à plat » de la politique de rémunération. Dans d’autres cas, certaines entreprises semblent réticentes pour des questions de qualité du reporting des données GES. En tant qu’actionnaires, en plus des KPIs financier, il nous semble pertinent de viser à aligner le « KPICO2 » de la rémunération variable avec les objectifs officiels de réduction des GES. Cela donne plus de crédibilité à la stratégie climat poursuivie.
Comptez-sur nous pour suivre les prochains développements sur ces sujets. Une stratégie crédible de gestion du changement climatique est une priorité pour la planète mais aussi pour l’entreprise. Cela lui permet d’être attractive auprès de ses collaborateurs, de prendre des parts de marché en comprenant les nouveaux besoins de ses clients et de réduire les risques de durcissement de la réglementation. L’entreprise renforce ainsi son modèle économique. Elle génère un cash flow pérenne et rémunère ses actionnaires par une politique équilibrée d’allocation du capital, entre investissements et dividendes.