Faut-il continuer de miser sur l'Europe?
Fondée en 2005, BDL Capital Management est une société de gestion indépendante qui investit principalement dans des actions européennes pour le compte d’institutionnels, de banques privées et de CGP. Olivier Mariscal, Responsable des relations investisseurs, marketing et communication au sein de BDL Capital Management, revient sur ce qui fait la force de la zone euro en matière d’investissement.
Inflation, banques centrales, reprise économique, guerre en Ukraine… Comment le marché actions évolue-t-il au regard de l’actualité ? Quel regard portez-vous sur celui-ci ?
Olivier Mariscal : L’actualité se charge souvent de remettre en cause les scénarios de marché des économistes. C’est une nouvelle fois le cas en cette année 2022 qui avait commencé sous le signe d’une poursuite de la croissance économique à un niveau élevé, après le fort rattrapage post-crise sanitaire du millésime 2021, sur fond de tensions inflationnistes. Les banques centrales américaine et européenne semblaient disposer d’un terrain de jeu presque idéal pour engager la normalisation monétaire attendue après des années de taux d’intérêt maintenus à des niveaux extrêmement bas, voire négatifs.
A partir de la mi-février, le retour des tensions géopolitiques, puis le déclenchement du conflit ukrainien, sont venus bouleverser la donne. Sur le plan économique, ce choc a été source de nouvelles tensions sur les chaînes d’approvisionnement, venant s’ajouter à celles liées à la politique dite « zéro-Covid » de la Chine, qui continue de susciter des mesures de confinement strictes dans certaines villes
Avec la crise russo-ukrainienne, ce sont de nouveaux secteurs qui sont touchés par des pénuries, ou du moins des difficultés d’approvisionnement. On pense naturellement à des matières premières agricoles, comme le maïs et surtout le blé, dont la Russie est le premier exportateur mondial et l’Ukraine le troisième. Mais la Russie a aussi des positions importantes sur des métaux industriels importants, comme le nickel ou le palladium, tandis que l’Ukraine a des positions dominantes dans la production de plusieurs gaz utilisés par l’industrie des semiconducteurs, comme le krypton, le xénon ou le néon (70% de la production mondiale de ce dernier).
Ces nouvelles tensions viennent renforcer l'inflation préexistante, qui continue de se propager à différents secteurs de l'économie, avec même des segments où on peut parler d’hyperinflation : fret, énergie, aluminium ou certains plastiques. Cela laisse augurer au niveau microéconomique des pincements de marges plus ou moins sévères pour certaines entreprises cette année, tandis que les perspectives macroéconomiques s'assombrissent elles-mêmes.
En quoi l’Europe se révèle-t-elle propice à l’investissement et source d’opportunités ?
Olivier Mariscal : Pour autant, le scénario économique n’est pas tout noir pour les investisseurs. Il reste des opportunités, notamment, au sein des actions européennes. D’abord, si la crise russo-ukrainienne est source d'inflation dans le secteur de l'énergie, le poids de cette zone dans l'économie mondiale est très modeste.
En Europe, on bénéficie aussi du fait que les entreprises reprennent leurs investissements après la pause forcée liée à la crise du COVID. Elles sont aussi en train de reconstituer leurs stocks, parfois à des niveaux supérieurs à ceux d'avant crise pour se prémunir de nouvelles perturbations.
Quant à la croissance européenne sur 2022, si nous nous sommes éloignés des ambitieux objectifs de début d'année, qui tournaient autour de 4%, la Commission européenne continue de prévoir un niveau de 2,7% pour l’année, puis une croissance de 2,3% en 2023.
Les actions européennes sont également intéressantes lorsqu'on s'intéresse à leur valorisation. Celle-ci est en ligne avec la moyenne historique mais surtout, le marché européen offre une décote significative, de l'ordre de 45%, par rapport aux actions américaines. On n’avait jamais vu une telle sous-valorisation relative sur les 50 dernières années.
En revanche, on constate de fortes disparités entre secteurs, mais aussi entre pays : les actions allemandes ou autrichiennes par exemple, sont à une valorisation relativement basse par rapport à leur moyenne historique, tandis que les actions suisses et portugaises sont plutôt à des niveaux élevés. Tout cela plaide pour une approche fondamentale, fine et sélective du marché européen. L’importance d’un bon stock-picking (sélection entreprise par entreprise) n’a jamais été autant d’actualité.
Quelles sont vos perspectives en matière de reprise économique ?
Olivier Mariscal : Le mot d’ordre des prochains mois est la FLEXIBILITE. Nos discussions avec les entreprises nous confirment que l’inflation en Europe n’a pas encore atteint son pic car elles continuent à passer des hausses de prix et que la deuxième vague arrive avec les salaires (les syndicats allemands demandent 8% de hausse de salaire pour l’automne).
La remontée des taux va continuer à peser sur les multiples de valorisation dans les mois qui viennent (le PE moyen du Stoxx 600 traite début juillet autour de 11.5x contre 16x en début d’année). Dans les années 70, dans un environnement similaire à celui que nous connaissons, le marché américain est passé de 20x de PE à 8x en 5 ans.
Il est donc impératif d’investir dans des entreprises sur lesquelles le niveau de valorisation absolu est déjà bas pour ne pas avoir le double risque sur les bénéfices en cas de récession et de compression des multiples.